Un an après la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016 qui a endeuillé et plongé le Cameroun tout entier dans le deuil et l’émoi, la ville d’Eséka vit depuis près de trois mois, un nouvel événement, la ruée vers l’or.
Le phénomène, insolite au départ, devient progressivement le quotidien des populations de la ville. Les matinées du centre urbain et de l’artère principale d’Eséka hier rythmées par le trafic des conducteurs de motos accompagnant les élèves à l’école ou déserts pendant les vacances, connaissent d’impressionnantes transformations. Même les rues des quartiers ne sont désormais pas épargnées par la présence de ces masses humaines chaussées de bottes, détentrices de pelles, et attirées par le précieux métal. En surcharge sur des motos ou à pieds, ils se dirigent vers les différents sites d’exploitation identifiés. Hommes pour la plupart, ils arrivent chaque jour par dizaines et se comptent déjà à plus d’un millier. Et l’invasion est loin de s’arrêter de sitôt. Ils sont en majorité originaires du nord Cameroun, Burkinabés, Maliens, Nigériens, refugiés Centrafricains, Ivoiriens et Congolais et viennent tenter leur chance avec l’espoir de voir la roue de la fortune tourner en leur faveur. Ils s’appellent Aboubacar, Léopold ou Victoire… Leur arrivée, c’est en colonie depuis leurs réseaux du Congo, de l’Angola et du Gabon et nuitamment qu’ils l’organisent pour contourner ou tromper la vigilance de la barrière de contrôle des forces de sécurité installée à l’entrée de la ville.

 

Le rôle des populations riveraines
Il faut débourser de 30.000 à 50.000 frs CFA pour exploiter une portion de terre préalablement sondée, et verser 1000 à 3000 frs CFA par travailleur, au propriétaire terrien ou au chef traditionnel pour l’enregistrement et l’accès au chantier. Ici, les bordures des cours d’eau et les marécages, restent les principaux sites prisés et préférés par ces orpailleurs.
Sa réputation de ville au sous-sol riche en or, Eséka ne la tient pourtant pas d’il y a très longtemps. Son histoire, celle d’un originaire de la localité de Lolodorf qui, sous le factice prétexte de préparer des étangs pour la pisciculture, s’est livré à son exploitation pendant plus d’une année au point d’attirer l’attention des acheteurs accrochés à la qualité proposée, 23 ,6 carats selon les révélations d’un responsable de la délégation départementale du Ministère des mines et de l’eau du Nyong et kéllé, avant d’activer par la suite leurs réseaux d’artisans. Et le même cadre qui a requis l’anonymat de nous confier que l’exploitation du gisement d’Eséka « pourrait avoir une durée de vie minimale de vingt ans selon les premières conclusions issues des échantillons prélevés à partir des sondes artisanales effectuées », et d’ajouter que «l’activité artisanale est la seule qui fournit les réserves d’or du Cameroun via le Cadre d’Appui à l’Artisanat Minier (CAPAM) qui rachète et canalise les réserves au Ministère des Finances qui à son tour les dépose aux réserves d’or du pays à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC).» Mais selon le géologue chercheur Gabriel Mirabeau AKONO AKONO, « bien que l’or d’Eséka ne soit pas nouveau, ses quantités très jeunes sont issues de l’érosion des roches des sommets de montagnes dont les filons se sont progressivement déposés sur les lits des cours et leurs environs au fil des années. » Une position partagée sous anonymat par un ancien cadre de l’entreprise d’exploration minière CAMINA, qui a prospecté le fer pendant cinq ans dans le Nyong et Kéllé dans la région du centre et sur la chaine montagneuse de Ngovayang vers Lolodorf, dans le sud Cameroun.
De nombreux sites en exploitation

Trois principaux sites servent principalement, pour l’instant, de champ d’exploitation à ces orpailleurs, qui n’hésitent plus à dépasser les limites de l’impossible, prenant d’assaut les villages alentours et travaillant même dans la nuit pour certains. Se servant des motopompes louées entre 20.000 et 25.000frs la semaine pour aspirer et évacuer l’eau qui envahit les superficies creusées, quelques femmes aussi ont rejoint sans complexe les hommes dans l’activité.Tandis que des rampes de lavages , sorte de canal fait de bois garnis de tapis spéciaux placés en paliers permettent grâce à l’eau, d’évacuer le superflu et de ne rester qu’avec l’or retenu ici, c’est une cuvette en aluminium qui fait office de batée pour séparer les paillettes d’or du sable, de la boue ou de la terre. Il leur faudra de longues et nombreuses heures de travail pour obtenir quelques grammes d’or, qu’ils vendront à 20.000 frs à 25.000frs le gramme en fonction des vis-à-vis et de leur connaissance de la valeur et des cours du produit sur le marché. L’accès aux comptoirs n’est pas autorisé aux chercheurs d’or inconnus.
Des affaires florissantes
Il ne fait pas bon de fréquenter les restaurants moyens aux heures de pointe, vous n’y aurez pas de place assise parce que toutes occupées par ces nouveaux maitres de la ville qui dament depuis peu le pion aux exploitants forestiers, qui faisaient encore la pluie et le beau temps hier. Même du côté du poisson à la grillade, le fameux « poisson braisé », les prix ont grimpé de 25 % et les quantités ont diminué. Mais les bonnes affaires, ce sont les tenanciers des bars qui les font surtout, eux qui doivent désormais rester ouverts jusqu’à très tard, pour leur bonheur et pour celui de nombreuses jeunes filles qui comme des rapaces, rôdent autour de ces consommateurs qui n’hésitent pas à dépenser toute leur fortune le temps d’une soirée ou d’une nuit accompagnée. Leurs compagnes de circonstance, ils les recrutent parmi les élèves des différents établissements secondaires de la place, les jeunes célibataires mais aussi dans les délégations de filles venues tous les soirs des localités environnantes de Lolodorf, de Boumyébel et même de Yaoundé et de Douala, et qui au petit matin reprennent le chemin de leurs destinations d’origine non sans avoir soutiré leur part du butin. Les nuits au centre d’Eséka ressemblent dorénavant, par l’effervescence et l’affluence qui y baignent, à des petits marchés nocturnes. Côté logement, c’est une toute autre affaire. La demande a explosé, y compris dans les auberges. Impossible de trouver aisément une chambre de bas et de moyen standing. Alors que ces nouveaux locataires s’y entassent à quatre voire six ou sept, menuisiers, vendeurs de récipients et des matelas tirent eux aussi leur épingle du jeu par la fabrication et la vente d’articles.
Une anarchie et des dérives malgré une volonté administrative d’encadrer le secteur
Le 31 octobre 2017, le Préfet Peter Ntié Ndeh, du Nyong et Kellé signait pourtant un arrêté interdisant « jusqu’à nouvel ordre, toute activité d’exploitation artisanale des substances minérales (or, diamant, etc.) dans les localités de Batbat, de Bogso et dans tout l’arrondissement d’Eséka et ses environs. » La suite de la décision invitait toutes les personnes intéressées par l’activité à « se constituer en Groupe d’Initiative Commune ou en Entreprise de l’artisanat minier et introduire un dossier pour l’obtention d’une exploitation artisanale » auprès des services compétents. L’autorité administrative justifiait alors sa décision par la volonté d’encadrer l’activité, d’aider à sa meilleure organisation et de préserver la sécurité. Peine perdue pour la sécurité, la réalité du terrain révélant toute autre chose ; une récente chronique faisant état d’un viol subit par une jeune fille et cinq partenaires d’occasion. La jeune victime n’a hélas pas pu supporter la violence des ébats et des étreintes de ses bourreaux, qu’elle en est tombée évanouie non sans avoir enregistré des déchirures graves dans un de ses orifices. Du côté de la mairie, on semble également dépassé par cette nouvelle activité socio-économique. Aucun mécanisme mis en place pour profiter de la dizaine de millions en circulation par semaine dans les comptoirs clandestins et discrets installés dans les chambres de certains hôtels. Aucune réflexion aussi au sujet des potentiels nouveaux métiers de la mine, ou sur les éventuelles mesures préventives liées aux risques environnementaux relatifs à l’utilisation du cyanure ou du mercure dans les cours d’eau. Heureusement qu’une redevance minière de 0 ,5 % par gramme sera prélevée et 25% de ces prélèvements reversés à la commune. Trois fonctionnaires du CAPAM ont déjà investis les sites pour le suivi de la traçabilité des quantités découvertes, et une centaine d’orpailleurs ont acquis leurs cartes d’artisans miniers à 11.000 frs CFA par personne lorsqu’ils font partie des groupes constitués et 21 .000 frs CFA, lorsqu’ils évoluent en solo.
Alors que dans le district de santé d’Eséka on s’inquiétait du taux de prévalence des infections liées aux IST et aux VIH/SIDA supérieures à la moyenne nationale de 5,5%, on craint qu’Eséka ne ressemble à la ville de Betaré Oya à l’Est du pays, à l’Afrique du Sud, à la Namibie et au Brésil qui connaissent de forts taux d’infections à cause de l’activité minière qui s’y est développée. Même peur exprimée par Jean Paul NDENGA NEMECK, opérateur agricole qui exprimait ses appréhensions au sous-préfet de l’arrondissement d’Eséka alors en tournée dans la localité de Bogso, lui qui redoute que « l’arrondissement ne vive de sérieuses périodes de famines ou d’inflation des prix des denrées alimentaires parce que les agriculteurs auront abandonné les champs et les plantations pour la recherche de l’or. » L’école elle aussi est menacée par les déperditions, certains élèves se rendant dans les chantiers dès la sortie des classes ou pendant les week-ends. La nécessité d’une prise de conscience s’impose donc pour éviter à la ville qu’un autre drame social ne la frappe, celui de la malédiction de l’or. Cette prise de conscience inexistante pour l’instant est un chantier ouvert pour toutes les parties prenantes opérateurs économiques, société civile et riverains pour la transformation dorée des populations et de la ville afin que l’or d’Eseka soit une bénédiction et non une autre malédiction.